Les cent derniers jours
Mcguiness Patrick
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Grasset, 2013
« Un jeune professeur d'anglais est nommé en Roumanie en remplacement d'un confrère. Nous sommes trois mois avant la chute de Ceauşescu, mais cela, il ne le sait pas. Guidé par Léo, un trafiquant au marché noir, il découvre un pays où tout est rare et rationné, de l'électricité à la liberté. Les seules choses qui prospèrent sont l'ennui et les petits arrangements. »
Ce roman très prenant decrit avec force la vie à Bucarest durant les trois mois qui ont procédé précédé la chute de Ceauşescu. À travers les différents personnages, c'est l'ensemble de la société qui est passé au crible. Le fait que le personnage principal soit jeune anglais, fraîchement débarqué, permet à l'auteur de le confronter à des situations incongrues. Sa quête d'explications sur le système dans lequel il est propulsé, est un bon moyen pour instruire le lecteur sans transformer le roman en ouvrage didactique.
Dès le début, le jeune professeur est confronté à la désolation, au magouille et à l'absurdité.
Les coupures d'électricité sont fréquentes et même programmées, la ville est défigurée par des chantiers commencés mais jamais achevés. La folie des grandeurs du couple de dictateurs tente de faire disparaître le vieux Bucarest .
Mais la ville semble surtout meurtrie.
La société ne fonctionne qu'avec petits et gros trafics. Le marché noir règne en maître et le paquet de « Kent »est un sésame.
« Le lingot de tabac : c'était une monnaie d'échange ici. Sortir des cigarettes signifiait que l’on souhaite un traitement de faveur et que l'on avait de quoi payer. »
Quant aux absurdités, elles sont communes à tous les systèmes dictatoriaux menés par des mégalomanes paranoïaques.
Les purges sont régulières, tout en étant imprévisibles. Du jour au lendemain, le directeur d'une université peut se retrouver jardinier de la dite université. Un professeur devient un employé de ménage… le jeu des chaises musicales maintient tout l'appareil d'État sous pression et rappelle à chacun que le Conducǎtorcommande!!
Les descriptions de la vie quotidienne sont terribles entre les privations de liberté, matérielles et l'ambiance de suspicion généralisée.
Avec son narrateur Patrick Mcginness nous fait pénétrer dans tous les milieux : à l'hôpital qui ressemble à un miroir où une fausse couche entraîne un interrogatoire pour s'assurer que ce n'est pas un un avortement interdit par la loi
dans les magasins qui ne se remplissent de denrées au passage du convoi présidentiel,dans les lieux fréquentés par la jeunesse dorée du parti où tout semble couler à profusion, champagne et argent mais où tout privilège reste précaire.
Au fur et à mesure du roman la tension monte. Si le lecteur sent bien que la chute sera celle du dictateur, il est tenu en haleine par le destin du narrateur.
Il peut fuir, notamment les règlements de comptes au cœur de l'État mais les attaches qu'il a nouées à Bucarest ne sont pas de celles qu'on peut rompre si facilement…
Les cent derniers jours est un ouvrage à la fois instructif et terriblement romanesque.
On se laisse happer par une histoire où il faut se méfier des faux semblants et des personnages loin d'être manichéens