Houris
Daoud Kamel
2
Gallimard,
Prix Goncourt 2024
« Aube est une jeune algérienne qui doit se souvenir de la guerre d'indépendance qu'elle n'a pas vécue et oublier la guerre civile des années 1990 qu'elle a elle-même traversée. Sa tragédie est marquée sur son corps : une cicatrice au cou et les cordes vocales détruites. Son histoire, elle ne peut la raconter qu'à la fille qu'elle porte dans son ventre. Mais a-t-elle le droit de garder cette enfant ? Peut-on donner la vie quand on vous l’a presque arrachée ? »
Houris propose une histoire bouleversante et développe des propos d'une grande force. Mais, pour accéder au fond, il faut accepter la forme. Le lyrisme à outrance peut tout à fait rebuter le lecteur, d'autant plus que certaines longueurs favorisent les répétitions quelque peu inutiles.
Si on arrive à dépasser les grandes envolées philosophiques et poétiques, on peut alors être complètement happé par cette histoire.
Le parcours de vie de la jeune héroïne, Aube, cristallise à la fois les paradoxes de son pays, l'Algérie mais également les injustices faites aux femmes.
Durant les années noires, le village d’Aube est attaqué par des terroristes. Laissée pour morte, elle survivra à son égorgement, contrairement au reste de sa famille. Il ne lui reste qu’un souffle de voix et une très grande cicatrice. Ce témoignage visuel est un véritable affront dans un pays qui refuse d'évoquer la guerre civile des années 1990.
Étouffée par la barbarie des hommes, il ne reste à Aube que sa voix intérieure. Celle-ci, fluide, alerte et parfois même acérée, s'interroge. Peut-on mettre au monde une fille dans ce monde où on invisibilise les femmes et où le pouvoir des hommes s'obstine à les rendre muettes ?
Son combat silencieux contre l'imam qui prêche face à son salon de coiffure est d'une force incroyable. Mais Aube peut-elle gagner quand tant de sujets sont tabous ?
Pour répondre à ces questions, la jeune femme veut retourner dans son village, interroger son passé, ses défunts, mais aussi rendre visible sa tragédie à ses contemporains. Son voyage sera fait de rencontres qui symbolisent bien ses traumatismes. Aube cherche des réponses mais sera amenée à se poser d'autres questions.
Les propos de Kamel Daoud sont très forts. Sans concession, il dénonce le traitement dictatorial de l'histoire par un état hypocrite. Il s'attaque frontalement aux injustices subies par les femmes qui sont toujours les premières victimes, quelles que soient les forces en présence.
Malgré une forme tortueuse Houris est un livre très courageux qui lève le voile sur une guerre sans nom (faisant la même erreur que la France pendant la guerre d'Algérie) et qui rend sa voix au sexe féminin. Sa courageuse héroïne est un bel hommage à celles qui refusent la domination masculine.